vendredi 24 janvier 2014

Différents rites de passage selon le sexe



L'origine des rites remonte à plusieurs décennies dont la date précise n'est pas déterminée. Pourtant, le but des rites reste le même, c'est-à-dire intégrer les adolescents au groupe social en leur imposant un modèle initiatique. Pour cela, les initiés doivent subir  à chaque fois des épreuves violentes tant au niveau mental qu'au niveau physique, exigeant une soumission totale. Ces rites de passage sont différents selon le sexe de l'initié.
Il existe de nombreuses tribus au Gabon, mais nous nous pencherons particulièrement sur deux d'entre-elles, les Myéné et les Mitsogho. 

Il existe un rite propre aux ethnies Myéné, réservé aux femmes. Celui-ci est un rite de passage assurant la transition entre le statut de la jeune fille et celui de la femme, c'est le Njembe.


                                          

Le Njembe est tout d'abord une tradition, mais c'est aussi une initiation autant spirituelle que physique. Ce n'est pas un rite quelconque, il est souvent associé à une société magique, parfois démoniaque, donnant aux initiés le pouvoir de communiquer avec les génies et l'au-delà. C'est un rite qui est exclusivement pratiqué par les femmes, tous les hommes en sont totalement exclus. Mais le Njembe est aussi une danse, pratiquée au cours de réunions secrètes entre initiées, mais aussi au cours de séances publiques. Les rites de passage ont lieu pendant deux ou trois semaines, au cours desquelles les aspirantes sont claustrées. Ce rite est pratiqué sous la direction d'une "Mère spirituelle", c'est elle qui est responsable.

                              



                                            


Dans le cas de la tribu des Mitsogho du Gabon, il existe beaucoup plus de rites tel que le Bwiti, la circoncision, ou encore le Mwiri. 
Mais l'on peut dire que le rite le plus important dans cette tribu est le Bwiti. Au départ, il s'agissait simplement de la religion des Pygmées du Gabon central, puis elle fut transmise au cours du dix-neuvième siècle, et se perpétue encore de nos jours. Cette tradition serait âgée de plusieurs millénaires. Parler "Bwiti" c'est avant tout le chanter et le danser. Contrairement au rite Njembe de la tribu des Myéné, le Bwiti est un rite de passage pubertaire strictement masculin.


                     
                                                                Pygmés qui chassent pour l'initiation 

                                        

A l'origine, le Bwiti est une spiritualité pygmée, une spiritualité de chasseurs-cueilleurs,qui prenaient le bois avant d'aller chasser. De cet usage qui s'est étalé sur des millénaires, ils ont acquis une sensibilité particulière au bois, qui fait qu'ils se contentent de très faibles doses. Le principe du Bwiti est contenu dans la racine même du mot bo-hete "émanciper", "libérer" littéralement "épandre un fluide hors du récipient". Les pygmées conçoivent l'homme comme incarné par des forces invisibles, et le corps comme la coque dont il doit s'échapper pour atteindre l'émancipation. Le but de ce rite est donc de  permettre au néophyte d'obtenir des visions spectaculaires grâce à la manducation d'écorces de racines de l'arbuste appelé "iboga".

                                        
                                                            Membres initiés au rite Bwiti

                                        
                                                          Cérémonie de veillée Bwiti

                     
"Le Bwiti est avant tout un culte dans lequel des femmes, réunies autour d'un feu, chantent et dansent. Ils se servent du feu pour enflammer des torches, pour purifier l'air, pour danser, pour découvrir des chemins de connaissance inhérents à la culture qu'ils sont en train de vivre."


                                           


                                              
L'iboga,arbuste atteignant 1,5 m à 2 m, produit des fleurs jaunâtres ou rosâtres, qui donnent des fruits à la chair sucrée ne contenant pas d'alcaloïdes psychoactifs.


                                 


                                  
Pour préparer l'iboga, l'écorce jaunâtre de la racine est râpée et la poudre obtenue peut être mangée directement ou délayée dans de l'eau pour préparer une boisson ou encore séchée pour être conservée.

L'initié peut réagir de deux manières différentes en fonction de la dose d'iboga qu'il absorbe. A faible dose (une lamelle de la surface d'un doigt) l'iboga provoque un accroissement de la perception qui, au début, fut surtout utile aux chasseurs pygmées pour ressentir le milieu forestier; ensuite le Bois a un effet stimulant qui permet de rester éveillé plusieurs jours d'affilée. 
Au contraire, à plus forte dose, il peut y avoir de fortes nausées, des vomissements, et un état d'asthénie musculaire durant lequel des visions se manifestent en nombre. Cet état pourrait se comparer à un état de médiumnité temporaire qui légitime l'expression "Voir dans le bois". C'est ce stade que cherchent à atteindre une fois pour toutes les bwitistes pendant l'initiation, avalant alors jusqu'à plusieurs centaines de grammes pour "s'ouvrir", entraînant parfois des états comateux dont les expérimentateurs reviennent avec le sentiment d'être "passés de l'autre côté", d'avoir fait une approche de la mort. Autant dire que l'initiation au Bwiti est une épreuve physique dont on revient généralement bouleversé, las et dégoûté par l'idée de reprendre de ce Bois.

                                  
                                    L'ingestion de raclures de racines d'iboga pour l'initiation.

  " J'ai fait le pas, j'ai mangé le Bois, et ça a bouleversé toute mon existence"

"Il n'est pas question de maîtriser quoi que ce soit, si tu n'as pas confiance tant pis pour toi, si tu cherches à te maîtriser pendant l'initiation, tu ne verras rien. Non, il ne faut aucune concentration, c'est le lâcher-prise qui marche. Laisse toi porter ! "






                                          


Après la préparation et la prise de bois sacré, vient l'épreuve de l'edika signifiant "protection". L'edika comprend un processus de fermeture à travers la prise de bois antidotes à l'iboga; de nombreuses bénédictions données par le groupe; ainsi que la mise en place d'un lien sorcier, par un sacrifice animal, qui est censé protéger l'initié, mais aussi marquer définitivement son appartenance au groupe bwitiste. En théorie, l'edika a lieu dans la foulée de l'initiation, mais il faut souvent plusieurs jours au banzi ( néophyte ) pour s'en remettre et au groupe pour finir avec soins les préparatifs de la fête.
L'iboga est censé avoir raclé les parois internes pour en exhumer les mauvais antécédents, et y avoir laissé un grand vide. Suivant cette conception très corporelle du mal mental, qui veut que le vomissement ait rejeté plus que des désordres physiologiques, il faut compenser l'action dépurative violente du Bois. L'edika est donc avant tout conçu comme un antidote aux effets secondaire du Bois, un médicament qui va tapisser l'estomac et les intestins qui ont été secoués, notamment grâce à l'huile de palme et à celle tirée du moabi, un bois devenu très rare dû à une exploitation forestière trop importante, qui entrent dans sa composition.
La recette initiale de l'edika vient des Masango, dont le nom signifie les "gens des feuilles". Un peuple en symbiose avec les plantes. L'edika est d'abord un repas rituel, une communion, qui aurait la vertu de fixer les révélations du banzi. On dit aussi que l'edika "pose" l'initié après l'épreuve. 
En effet, s'il y a eu irritation, cette préparation agit comme un pansement médicinal. D'autre part, il est connu au Gabon que de nombreux végétaux sont calmants, et ceux qui entrent dans la composition de l'edika le sont certainement.
                             

                                                      Début de la cérémonie l'Edika

Mais il faut savoir qu'il existe deux voies majeures dans le rite Bwiti, subdivisées en une kyrielle de sous-branches, dont les rituels et les techniques diffèrent sensiblement : C'est le Misoko et  le Disumba.
Tout d'abord, le Bwiti Misoko "les yeux" en langue tsogho, est un culte de consultation, dont le but est essentiellement thérapeutique. On y retrouve trois ou cinq bois, quelques fruits, des amandes de courge, des arachides, des huiles, et un sacrifice. Les ngangas durant le Bwiti  Misoko sont en colliers et pagnes de danse. Le but de ce rite est de gérer et résoudre les problèmes de la vie quotidienne. Ainsi, toute personne convaincue d'être attaquée par le mauvais sort, que le malheur s'acharne sur elle, ou que ses morts ne la laissent pas en paix, sera emmenée dans le monde invisible au moyen de l'iboga par le nganga accompagnateur, pour y régler ses difficultés.

                        
                                               Initiation au Bwiti Misoko, bain rituel

                        

                          


Dans un deuxième temps, il y a le Bwiti Disumba, du nom de la femme ancêtre dans le Bwiti des Mitsogho. Le Disumba se serait développé plus ouvertement que le Misoko, se modifiant sans cesse au gré des révélations des nganga (devin-guérisseurs) et des traditions ethniques ou chrétiennes qu'il intégrait aussitôt. Le but du rite Disumba est  de  conduire d'emblée le postulant au-delà des problèmes qu'il connait, pour lui permettre de concevoir son essence au-delà de l'existence, en communion avec la Lumière créatrice. C'est une expérience qui pourrait conduire, selon le Bwiti, jusqu'à rencontrer des vies antérieurs ou futures, le Créateur, et jusqu'aux fondements même de l'Univers.

                            
Initié du Disumba ne portant qu'un pagne rouge en fibres de raphia coloré  de rouge, représentant le sang de l'enfantement.

 Durant la première journée du rite Disumba, il y a une purification du corps: c'est une journée consacré aux soins, avec des vomitifs. Une journée entière à vomir. Le deuxième jour est consacré au nettoyage complet de l'espace où se déroulera l’initiation. Le nettoyage de ces lieux sacrés par le futur initié a une grande importance, il témoigne de la conscience dont il va faire preuve dans le rite. Cela permet également de s’assurer qu'aucun élément étranger ne viendra troubler les visions du mangeur de Bois. Ensuite, il y a le bain rituel, appelé le "baptême". L'initié doit tout d'abord avouer ses fautes passées à voix haute avant d’entrer dans la rivière.  Une poignée de feuilles d'iboga lui sont remises "Chaque fois que je verbalisais quelque chose dans mon cœur, je devais couper une feuille en deux et en jeter un morceau dans l'eau. Ainsi tout partait dans le lit de la rivière avec le courant." Ensuite, on le lave et on lui demande de faire un aller-retour entre les jambes du père d'initiation sous l'eau. Dans le Disumba des Mitsogho, la plus ancienne tradition, on fait passer le futur initié à travers une ouverture pratiquée dans un arbuste qu'on fait tenir debout dans la rivière. Ainsi, il passe symboliquement par la porte étroite qui annonce sa renaissance. Le père d'initiation place un petit bout de résine d'okoumé allumé sur une feuille figurant la pirogue du voyage initiatique, une feuille de mbongo. "Cette feuille a véritablement la forme d'une pirogue, elle flotte très bien sans chavirer. Une fois la flamme allumée dessus, elle doit passer entre les jambes du père initiateur, qui se tient devant toi dans l'eau, et partir sur le lit de la rivière sans s'échouer, ni à droite, ni à gauche." 
Après cela le baptême à proprement parler commence: 
-Les officiants vont tout d'abord chercher l'énorme gousse rouge qui se trouve dans la cime d'un parasolier, cet arbre de la forêt secondaire qu'on appelle le kombo-kombo, le 'double-patron" en quelque sorte. Cette gousse rouge ressemble à une petite matraque et du reste, on frappe la tête de l'initié avec pour l'ouvrir, faisant sortir de sa gangue une fleur qu'on lui fait avaler d'une traite sans mâcher. "Ah ! manger cette fleur est un sacré truc, elle a une espèce d'onctuosité qui te remplit. Tu sens que c'est une fleur qui entre en toi, et c'est d'un grand effet."
Enfin on fait sortir l'initié de la rivière, pour l'asseoir sur la berge devant une torche d'okoumé, et on lui donne la première bouchée de lamelles de Bois sacré serrés en boulettes "L'iboga était frais,et la première bouchée n'avait pas l'amertume des suivantes." Les instruments se mettent alors à jouer la harpe lancinante, puis la corne saccadée, appelant les adeptes à rejoindre le corps de garde. Tout le monde se lève pour revenir de la rivière et rejoindre le temple en passant par le cimetière  à la file indienne. Chacun une bougie à la main. Ensuite, à l'intérieur du temple, on place l'initié dans la partie droite en entrant, la partie dévolue aux femmes . L'initié est installé dans une petite antichambre qui figure pour lui le sein maternel et dont l'entrée est "la porte de la naissance". Là on le couche sur une natte, avec pour seuls objets autour de lui, une petite pirogue sculptée sur laquelle sont posés un perroquet de bois et une bougie. Et voila que le voyage de l'initié commence. Un de ces voyages que seul le Disumba et ses fortes doses de Bois savent procurer. "J'ai voyagé au-dessus du pays des morts, j'y voyais des queues interminables de gens qui attendaient à une porte derrière laquelle il y avait d'autres gens plus lumineux, moins sombres. Tous avaient comme des cagoules noires et des yeux brillants. Je survolais. J'ai survolé des plaines immenses avec toutes ces files de gens.Tant de monde. Puis je suis arrivé dans une immensité qui m'a coupé le souffle, et tout d'un coup, j'étais en plein cosmos. Et la j'ai douté de ce que je voyais tant c'était énorme et improbable. Pourtant tout semblait tellement réel et présent... Je filais dans le cosmos, je voyais tout et rien, et je me sentais guidé dans l'espace à une vitesse surprenante." 

                             
                                                          Danse à l'initiation du Bwiti 

On remarque certaines différences essentielles entre ces deux pratiques. Dans un premier temps, il y'a une différence au niveau du  dosage du bois. On prend beaucoup plus de bois dans le Disumba que dans le Misoko, et on ne l'ingère pas de la même manière.
Dans le Disumba généralement  on le prend en lamelles toutes fraîches de la longueur d'un doigt, roulées en boules, qu'on garde dans la bouche, puis qu'on avale; dans le Misoko, on prend un Bois qui a été préalablement séché au soleil, "nourri" de son énergie, puis râpé et plié pour être réduit en poudre. Poudre qu'on avalera à la cuillère ou dans une banane plantain fendue, quelquefois aidé d'une gorgée d'eau.

                     
                                      Banane initiatique que l'on donne pour l'initiation à l'iboga

 Ensuite, dans le Misoko, le groupe ne cesse de relancer le banzi (l'initié) pendant son initiation, et bien sûr le voyage est différent selon qu'on vous laisse partir librement (dans le Disumba) ou qu'on ne vous lâche pas une seconde (dans le Misoko).
Le Misoko et le Disumba ne conçoivent pas non plus le rapport au Temps, figuré par l'espace du corps de garde, de la même façon. Ainsi dans le Misoko, on place le banzi la tête vers l'entrée du corps de garde, regardant le poteau central, alors que dans le Disumba la tête est tournée vers l'autel. Des dizaines de détails dans le rituel affichent des différences symboliques entre les rites : chez les uns on ne croise pas les jambes dans le corps de garde, chez les autres on ne pose pas sa tête sur sa main pour montrer qu'on reste vaillant, etc.

                                  
" Quand je suis entré dans le temple, j'étais déjà bien dans le Bois, je sentais les choses d'une autre façon, mais c'était très supportable. Surtout en comparant au LSD que j'avais pu prendre par le passé. L'expérience n'avait rien de la violence du LSD. C'était très différent, je n'avais pas d'effets d'hallucinations, je ressentais seulement le monde autrement".

On trouve aussi la circoncision qui est une des initiations majeures au Gabon. Ce rite exclusivement masculin ( l'excision n'étant plus pratiquée au Gabon) marque la fin de l'enfance. Il est réalisé chez les jeunes garçons de cinq à neuf ans, néanmoins il arrive qu’il soit pratiqué vers l’âge de vingt ans. C’est un passage obligé pour accéder à un statut social.